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13 mar. 24

Politique du logement : la logique du comptable contre la logique de l’économiste

Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, invité du journal télévisé, a annoncé que la croissance plus faible que prévu en 2024 le contraint à faire des coupes sombres dans le budget de la nation. 10 milliards d’euros à économiser ! Le logement en fait comme d’habitude les frais : une ponction d’un milliard d’euros est opérée sur l’enveloppe de MaPrimeRénov, l’aide phare de la transition énergétique résidentielle. Ce hold-up, annoncé sans trembler par Bruno Le Maire, fait suite à des réductions du budget du logement ininterrompues depuis 2017, à raison d’un ou deux milliards par an. Le budget du logement, à ce rythme, ne pèsera guère qu’une trentaine de milliards, dont 18 pour les seules aides personnelles.
Aux yeux de l’Administration, le logement coûte « un pognon de dingue », et on ne saurait continuer à alimenter cette hydre plus longtemps à grands frais. En somme, ceux qui nous gouvernent ont du logement une approche strictement comptable : on en pilote le budget en considération myope des allocations de l’exercice, et toute centaine de millions, tout milliard qui n’est pas attribué ou qui est repris est autant d’économisé. Lors des rendez-vous avec les corps intermédiaires, les ministres, leurs collaborateurs vous font plancher sous contrainte : « Tout ce que vous voulez, pourvu que cela ne coûte rien. » Comment accepter ce diktat malhonnête ? Car enfin, on connaît de la façon la plus sûre deux réalités : le logement rapporte à la collectivité près de trois fois le montant des aides de toutes sortes qu’il mobilise, soit 92 milliards d’euros de rentrées fiscales tous azimuts en 2022. Et ce n’est pas tout : ce chiffre, désormais dans tous les esprits et brandi en vain auprès de l’exécutif, est loin de valoir "solde de tout compte" : il ne prend pas en compte l’activité à proprement parler générée par la construction ou encore par la rénovation des logements. Le chiffre final donnerait le vertige…
 
Ainsi, les logements non produits en 2022 et en 2023, par rapport aux besoins estimés, sont évalués au bas mot à 150 000. Ce sont ainsi près de 38 milliards d’euros qui ont été perdus pour le pays en activité et en recettes fiscales, à raison de 250 000 € par unité non construite. Sachant qu’un point de PIB vaut 26 milliards, nous avons collectivement détruit près de 1,5% de notre produit intérieur brut sur la période. Ce calcul ne tient pas compte des dépenses sociales induites par les suppressions d’emplois directs et indirects qui sont mécaniquement attachées au ralentissement de l’activité, ni aux chiffres d’affaires des activités périphériques à la production, relatives à la gestion ou à la maintenance. 
 
Relancer le logement, franchement, massivement, sans demi-mesure, vaut la peine. Il reste que seul un regard d’économiste peut conduire à cet investissement, qui ne soit pas rivé sur l’exercice en cours ou le suivant au mieux. À cet égard, les choix du gouvernement de créer le mouvement en partant de l’offre ne sont pas les plus efficaces : tout au plus va-t-on accroître notre production par la simplification des procédures au sein des 22 territoires engagés identifiés, par la transformation des bureaux, par la surélévation ou par la construction de maisons « dans le jardin » de 20 000 ou 30 000 unités par an dans les prochaines années, soit 10% du marché. En revanche, en resolvabilisant la demande, on booste sans doute la construction de 150 000 à 170 000 logements : les promoteurs et les constructeurs ne bâtiront pas sans assurance que les ménages seront au rendez-vous de l’histoire.
 
Cette relance du logement n’est pas seulement vitale pour la santé économique du pays, elle l’est pour les ménages et l’équilibre social : la baisse de production de près de 40% en un an et de près de 50% en deux ans coupe purement et simplement les familles et les individus de toute solution pour se loger à la mesure de leurs besoins. Certaines villes affichent des situations terribles et des statistiques inquiétantes : 85 réservations dans la métropole de Dijon au dernier trimestre 2023, pour 250 000 habitants, 500 sur l’année entière dans la métropole de Nice Côte d’Azur pour un demi-million d’habitants. Le sort des demandeurs de logements sociaux n’est pas meilleur : 2,6 millions de dossiers en attente, soit le double par rapport aux années d’avant crise. Après le patronat, les centrales syndicales, FO, CGC, et CFDT, s’émeuvent du délitement du lien entre emploi et logement, qui nuit au travail, à la réindustrialisation comme à l’aménagement du territoire. C’est aussi la sécurisation pour la retraite par la propriété qu’on obère : les générations du moment ne bénéficieront pas de cette protection.
 
Il n’est que temps pour l’État de comprendre les vertus économiques et sociales du logement. Le Premier ministre, dès son discours de politique générale, a usé d’une rhétorique martiale pour déclarer l’urgence absolue sur le logement… La France ne s’accommodera plus de grandes protestations sans actes forts. Elle hésitera sans doute entre la désespérance et la révolte, qui mènent l’une et l’autre au pire. C’est aussi pour éviter cela qu’il faut agir vite.